axes de recherche  Axe 4 : Mémoires et patrimoines  

L'Europe des arts (échanges artistiques, moments historiques, circulations des oeuvres)

dernière mise à jour : 06/09/2012

La culture architecturale italienne et française à l’époque napoléonienne: aspects stylistiques et symboliques


Composante : Centre Ledoux
Nature du projet : programme international de recherche
Responsable : Daniel Rabreau

Une double motivation justifie cette recherche en cours et ses développements sur les quatre ans à venir. L’insuffisance ou l’indigence de la tradition historiographique française sur l’art de l’Empire doit être scientifiquement établie. Cette tradition s’appuie le plus souvent sur des études limitées à quelques artistes phares (toujours les mêmes : David et son école, Percier et Fontaine, Durand, Canova) ou à quelques domaines privilégiés, comme celui des arts décoratifs et du mobilier (nombreuses expositions à caractère descriptif). Pas la moindre réflexion d’ensemble ne s’attache à explorer l’imaginaire de l’époque exprimé dans la création artistique, d’après les intentions ou la réception de la production. L’ancrage de nombreux artistes de l’Ancien Régime dans l’illustration même d’une politique des arts, depuis le Directoire, n’est pratiquement pas pris en compte et la connaissance de l’œuvre de ces artistes souffre d’un manque de monographies notoire. Enfin, ce n’est qu’à titre de comparaison que sera établi avec pertinence le concept même d’un art impérial (« style Empire »?), dans l’Europe politique, soit des pays soumis, soit concurrents – mais sous influence franco-italienne comme la Russie. Il s’agit d’établir et de promouvoir une approche vraiment culturelle de l’Europe impériale.
    L’établissement d’une solide historiographie française de l’art sous l’Empire relève du travail d’équipe. Mais encore faut-il s’entendre sur une grille de lecture méthodologique qui s’imposera à partir de la pertinence et de la variété des questions que posent aujourd’hui des lacunes incroyables sur les artistes et les œuvres de cette période, comme sur l’ignorance totale du phénomène de réception ou le manque de nuances dans l’approche de la culture artistique.
    Travailler la question chronologique en micro-chronologie, dans le sens d’une continuité historique (des Lumières au « retour à l’ordre ») plus que dans celui de rupture, enrichira la prosopographie et les monographies comparées.
    Il faut reprendre la question que Francastel (Style Empire, du Directoire à la Restauration. 1939) avait cru résolue en affirmant que l’évolution de la société n’était pas à proprement parler politique mais économique. La transformation des moyens de production n’est pas une question « d’air du temps » et l’époque doit être abordée avec des questions touchant aux institutions et à la politique d’une manière croisée avec l’économique et le social. Les carrières d’artistes en dépendant ; la nature, plastique, esthétique et iconographique, de la production est soumise à l’ensemble de ces questions qui touchent l’industrialisation naissante.
    On relativisera l’approche stylistique en favorisant l’étude des relations entre les différentes formes d’art. Seul le parallèle des « arts réunis » permettra une avance dans l’étude chronologique des variations formelles constatées et de leur signification. Le rôle médiatique du dessin (gravure) devra être approfondi et les modes de lecture de l’époque approchés. L’iconologie, sur une longue durée comparative, doit être revisitée.

PERSPECTIVES

Ce programme de recherche sur les rapports artistiques européens s’est mis en place à partir de la convention qui, depuis 2005, associe le Centre Ledoux au Centre d’Archives d’Architecture de Mendrisio (Université de la Suisse italienne-Tessin/Suisse), sous la dir. de Letizia Tedeschi et de Daniel Rabreau. Parmi les autres chercheurs qui y participent, du côté français : Monique Mosser (CNRS UMR André Chastel-Univ. Paris-IV), Blanche de La Taille et Aline Mercier (Doctorantes au Centre Ledoux), Alain Delaval (Nantes), Marc Saboya (Bordeaux). La convention doit se poursuivre jusqu’en 2013.

Depuis quatre ans, certains résultats ont été formalisés, à la suite de nombreuses séances de travail, tant à Paris qu’à Mendrisio :

— Trois colloques, La cultura architettonica italiana e francese in epoca napoleonica, les 4-7 octobre 2006 à Ascona (Italie) et les  4-6 octobre 2007 à Rome (Académie de France, Villa Médicis). Les actes sont sous presse. Un troisième colloque a élargi le partenariat à certains pays du nord de l’Europe et aux échanges architecturaux de la période 1760-1820 : «La lumière vient du Nord!». Le arti e la trasmissione dell’antico in Polonia e Russia in età neoclassica, les 6-8 mars 2008 au Centre de Séminaires de la  Villa Vigoni à Loveno di Menaggio (Italie).

La recherche se poursuit avec la collaboration d’autres universités italiennes (Milan, Roma 3) et le musée de Lugano (Suisse ital.) ; elle doit également comporter un volet espagnol (Carlos Sambricio, Univ. de Madrid). Sont en cours de réalisation ou de préparation :

— un livre monographique sur l’architecte Luigi Canonica (architecte impérial à Milan),
— une exposition sur les rapports France/Italie du nord sous l’Empire (Lugano – Paris ou Villa Médicis à Rome).
— poursuite des travaux de recherches croisées entre Russie, France et Italie ; ouverture vers les Pays germaniques.

La diffusion de l’habitat de plain-pied en Europe (1750-1914)

Composante : Centre Ledoux
Nature du projet : programme de recherche
Responsable : François Cabestan

L’émergence du logement de plain-pied caractérise l’histoire de l’habitat parisien au XVIIIe siècle. La cristallisation d’un imaginaire domestique dominé par l’autorité du modèle royal versaillais et la densification des tissus urbains sont sans doute simultanément à l’origine de cette mutation de la manière d’occuper le bâti citadin. La diffusion du logement à l’horizontale varie selon le contexte géographique mais s’impose peu à peu dans toutes les grandes villes de France. Des tragédies – telles l’incendie de Rennes en 1720 – semblent attester le rôle précurseur de certains foyers provinciaux ; d’abord engagée sous l’autorité d’architectes parisiens, la reconstruction de la cité bretonne au deux-tiers détruite est allée de pair avec redistribution parcellaire et l’invention de la copropriété par étage. À l’étranger, la situation est contrastée, et le plain-pied ne s’attire pas une faveur unanime. Sujet parfois méconnu ou demeuré à l’état de friche, il est apparu que l’état des connaissances dans ce domaine variait beaucoup selon les pays. Plusieurs journées d’étude consacrées à l’architecture domestique des Temps Modernes ont déjà permis de rassembler un certain nombre de données sur la situation à l’intérieur de nos frontières. Les contacts étroits qu’entretient le Centre Ledoux avec des universités et des écoles d’architecture à l’étranger favorisent l’organisation d’une nouvelle série de rencontres. Celles-ci permettront de préciser les caractères et les implications d’une formule qui préside à la façon dont cohabitent nombre de groupes humains sur la planète.

Traduction et édition commentée du Journal du comte Harry Kessler

Composante : CIRHAC
Nature du projet : traduction, édition critique, programme de recherche
Responsable : Eric Darragon

En avril 2008 s’est tenu au Musée d’Orsay un colloque international organisé par le Centre allemand d’histoire de l’art et le CIRHAC de l’université de Paris 1. Suite à cette manifestation, L’INHA conjointement avec le Centre allemand et le CIRHAC a décidé d’entreprendre une traduction en français du Journal du comte Kessler qui fut l’un des plus importants promoteurs de l’art et de la culture françaises en Allemagne depuis les années 1890 jusqu’à la guerre de 1914 et au-delà dans les années vingt. Ses activités, notamment durant la période de Weimar, couvrent l’ensemble de la production artistique : la peinture et ses aspects contemporains (Maurice Denis, Bonnard), la sculpture (Rodin, Maillol), l’architecture (Van de Velde), les arts décoratifs, les arts graphiques, l’édition. Il fut en contact épistolaire avec un nombre considérable de personnalités littéraires et politiques dans toute l’Europe. Son Journal, conservé aux archives de Marbach, vient d’être publié in extenso en plusieurs volumes. Il s’agit d’un document essentiel car Kessler fut un mécène actif mais aussi un observateur et un historien de son époque aux capacités intellectuelles hors du commun. La traduction française opérera une sélection significative de manière à offrir aux historiens un document annoté et commenté. La collaboration entre historiens allemands et français sera étroite en raison de l’expérience acquise lors du récent colloque. Il s’agit d’un projet ambitieux et précis qui s’inscrit dans la logique de la recherche de Paris 1 pour le prochain contrat sur le thème de l’Europe des arts.

Les rapports franco-allemands sur la question du cinéma dans l’entre-deux-guerres 

Composante : CERHEC
Nature du projet : programme de recherche
Responsable : Dimitri Vezyroglou

Ces rapports seront envisagés à la fois sous les angles économiques (commerce du film), techniques (transferts et coopération), politiques (conflits notamment autour des questions mémorielles en jeu dans les films) et esthétiques (question des modèles et des transferts d’une cinématographie à l’autre). Ce travail fera l’objet d’une collaboration avec certains membres du CIRHAC (Catherine Wermester et Bertrand Tillier), dans la continuation du colloque « L’art allemand en France, 1919-1939 » qui se tiendra à INHA en  octobre 2008.

La photographie et l'Europe

Composante : CIRHAC
Nature du projet : programme de recherche
Responsable :  Michel Poivert

L’orientation générale des travaux visera à déployer les axes européens des recherches historiques sur la photographie. Chaque année un pays et une problématique seront privilégiés dans la dynamique des travaux de doctorants. Toutefois, la vision internationale ne pourra ignorer le poids des productions photographiques américaines et travaillera en dialogue avec les problématiques transatlantiques (transferts des avant-gardes notamment, poids des discours modernistes en retour, etc.) mais encore les relations de l’Europe avec le continent africain et l’ère géographique orientale.

La question centrale posée dans ce programme sera celle de l’existence et du devenir d’un « foyer » européen au XIXe siècle en photographie discuté dans la perspective de son éclatement au XXe siècle voire de sa remise en cause depuis une génération.

Dès à présent, le projet d’une étude de la photographie dans l’axe méditerranéen au XXe siècle et en dialogue avec les espaces hispanophones est en cours de maturation et donnera lieu à une journée en 2010. De plus, une journée d’étude sur l’abstraction et la photographie dressera un axe Europe-États-Unis en se focalisant sur la période 1930-1950 et la question de l’image expérimentale, ceci pour 2011.

Une seconde étape des recherches visera à tourner l’axe géographique vers le centre de l’Europe et le dialogue avec l’Orient. Un premier projet vise à établir une analyse historique de la diffusion de la photographie en Europe de l’Est jusqu’aux années 1930, date à laquelle les grands photographes d’Europe centrale émigrent en Europe occidentale pour constituer l’immense corpus des photographes modernes pris dans la problématique du cosmopolitisme (les «capitales» de la photographie : Paris, Londres, Berlin). Le second projet vise à dépasser les frontières de l’Europe à l’Est en proposant des travaux sur les dialogues entre l’Europe et l’Orient au sens très large du terme : du temps des «voyageurs photographes» à celui de la décolonisation, c’est l’évolution du regard européen sur les civilisations lointaines qui sera étudiée.

La partie enseignement-recherche devra accompagner cette dynamique tant il apparaît un déficit d’encadrement dans la spécialité. La nécessité d’un recrutement de maître de conférence à l’horizon 2011 semble s’imposer afin d’établir l’accompagnement des étudiants (effectifs stables au-dessus de 120 étudiants en L2 et L3).

Les partenariats avec les sociétés savantes, institutions publiques et privés se développeront sur la base de Prix et de Bourse de recherches mais aussi d’appui à des événements scientifiques.

Patrimoine architectural contemporain en France

Composante : AVD (Architecture, Ville, Design)
Nature du projet : programme de recherche
Responsable : Claude Massu

L’équipe a vocation à poursuivre des études sur le patrimoine architectural contemporain en France et dans les pays européens limitrophes. Ces recherches nourrissent un  travail d’inventaire dans le cadre d’une convention entre l’Université de Paris 1 et l’association DOCOMOMO dont l’objet concerne la connaissance, la protection et la mise en valeur des bâtiments de l’époque contemporaine, en particulier depuis les années 1940. Ces recherches sur des typologies architecturales contemporaines en France pourront également être menées en lien avec les services de l’Inventaire général du Ministère de la Culture (DAPA, direction de l’architecture et du patrimoine).

L'Europe après la guerre. Retours et perspectives (1945-1960)

Composante : CIRHAC
Nature du projet : programme de recherche
Responsable :  Guitemie Maldonado

Suite du programme sélectionné et subventionné dans le cadre de l’appel « Jeunes chercheuses et jeunes chercheurs », Agence nationale de la recherche, 2007

Depuis les années 1980 et les grandes expositions-bilans qui les ont jalonnées (Les Années 50, Paris, Musée National d'art moderne, 1981 ; L'Art en Europe. Les années décisives 1945-1953, Saint-Etienne, Musée d'Art Moderne, 1987 ; Paris-Paris. Créations en France 1937-1957, Paris, Musée National d'art moderne, 1981), les études portant sur la période de l’après-Seconde Guerre mondiale se sont multipliées : expositions thématiques (Denise René l'intrépide : une galerie dans l'aventure de l'art abstrait 1944-1978, Paris, Musée national d’art moderne, 2001 ; Paris. Capitale des arts 1900-1968, Londres, Royal Academy of Arts, 2002 ; L’œil moteur. Art optique et cinétique. 1950-1975, Strasbourg, Musée d’art moderne et contemporain, 2005) ou monographiques (Nicolas de Staël, Paris, Musée national d’art moderne, 2003 ; Zao Wou-Ki, Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 2003), programmes de recherche (en particulier dans le cadre du Centre Allemand d’Histoire de l’art, Paris), doctorats soutenus (Annie Claustres, Histoire d’une réception. Peintures de Hans Hartung 1922-1989. De l’expressionnisme au détachement, Paris IV, 2001 ; Anne Malherbe, L’épaisseur sensible. La matérialité dans l’art sur la scène parisienne 1944-1960, Paris I, 2004 ; Marie-Amélie Kaufmann, L’influence du milieu artistique parisien, de 1945 à 1955, pour les peintres abstraits allemands, autrichiens et luxembourgeois, Paris IV, 2003) ou en cours (Domitille Le Barrois d’Orgeval, Réalités Nouvelles. Histoire d’un salon et de la revue, Paris IV ; Anne Montfort, Le mouvement constructionniste : tentative d’une avant-garde dans l’Angleterre de l’après-guerre, Tours) ont permis d’éclairer la connaissance de ces années cruciales. L’importance de la documentation ainsi dépouillée, la mise à disposition des chercheurs d’un certain nombre de fonds d’archives, les quelques témoins encore vivants (dont Michel Ragon, Pierre Soulages), la distance temporelle ainsi que les résonances de cette période et de ses problématiques dans le débat contemporain, invitent à la reconsidérer dans une perspective nourrie de ces recherches et toutefois renouvelée.

Ce champ d’études est en effet prioritairement abordé suivant l’axe Europe-Etats-Unis, voire suivant celui de la rivalité opposant les deux capitales Paris et New York : les travaux de Serge Guilbaut sont à ce titre exemplaires qui offrent à nos recherches de multiples pistes. Toutefois, une telle lecture bipolaire, si elle rend bien compte de la réorganisation mondiale qui se joue alors et du rôle qu’y tiennent les différents acteurs de la scène artistique, ne permet pas véritablement de caractériser le contexte artistique européen dans ses tendances générales et ses spécificités locales. Etudier la diversité des situations nationales face à la guerre et en regard de l’histoire de l’art moderne, passée – celle des avant-gardes de la première moitié du XXe siècle – et en train de se constituer, offre en revanche la possibilité de dégager des problématiques communes et leurs formulations particulières suivant les contextes. Nous nous proposons donc de centrer nos recherches sur l’Europe occidentale et les échanges entre les pays qui la constituent, tout en envisageant la situation en Europe de l’Est sous l’angle de la circulation des idées et en s’associant pour ce faire ponctuellement à des chercheurs, français ou étrangers, compétents dans ces domaines. Les rapports entre l’art (entendu au sens large, de la création à la diffusion, des artistes aux historiens, et comme un ensemble constitué des différents modes d’expression, peinture, sculpture, graphisme, photo, film) et le contexte seront au cœur de notre démarche. En questionnant ainsi l’existence d’une Europe artistique après la guerre, on pourra en retour proposer d’autres éléments à la compréhension de la situation de l’art européen sur la scène mondiale.

La périodisation choisie (1945-1960) reflète notre volonté d’envisager les conséquences de la Seconde Guerre mondiale dans le champ artistique en considérant les facteurs de rupture tout comme ceux de continuité, en analysant donc les différents modèles historiques alors à l’œuvre. Il deviendra ainsi possible de donner son sens plein à la notion d’« après-guerre », de revenir aussi sur celle de table rase ou d’année zéro communément associée à cette période et qui ne semble recouvrir qu’un aspect de la question.

Retours

On ne peut en effet que constater la permanence de certains acteurs (artistes, critiques et historiens de l’art, institutionnels), qu’ils poursuivent leur activité pendant la guerre, certes au ralenti et parfois sous d’autres formes, ou qu’ils la reprennent immédiatement après sa fin. Il s’agira, chez des figures majeures telles que Picasso, Matisse, Léger, Hofer, Moore, d’enregistrer les secousses de la guerre et ses effets sur leur production ainsi que sur leur situation dans le panorama artistique : en quoi la guerre modifie-t-elle leur pratique et leur rapport à l’art moderne ? Comment sont-ils considérés après 1945 : tenants de la modernité ou du classicisme, comment sont-ils montrés et comment sont-ils vus, par qui sont-ils défendus et dans quelle ligne ? A ce titre, le cas de Christian Zervos (1883-1970) et des Cahiers d’art (1926-1960, dont les archives sont désormais conservées au Musée national d’art moderne), son attachement sans faille à l’œuvre de Picasso dont il édite le catalogue raisonné en 33 volumes est un indicateur exemplaire à la fois de la continuité de certains engagements mais aussi des repositionnements amenés par l’évolution de la scène artistique.

Le phénomène s’observe également chez les historiens de l’art qui œuvrent, après la Seconde Guerre mondiale, à la connaissance et à la diffusion de l’art moderne et des avant-gardes. Revenir sur les travaux de Jean Cassou (Les Sources du XXe siècle), de Michel Seuphor (L’art abstrait, ses origines, ses premiers maîtres) ou de Bernard Dorival (dont les archives sont déposées à l’INHA), d’Herbert Read, de Will Grohmann, Werner Haftmann, Willem Sandberg ou encore Giulio Carlo Argan permettra non seulement d’éclairer les positions et les modèles historiques de chacun, mais aussi de brosser un panorama plus global des degrés de connaissance de l’art moderne, des décalages variés qu’a connus son assimilation (par exemple le cas Mondrian en France), du sens aussi que revêt son étude après le second conflit mondial. Dans cette optique, il faudra préciser le rôle des médiateurs (leurs parcours et leur identité) pour la construction d’une histoire spécifique (parcellaire et orientée) du passé récent (on étudiera par exemple les conférences organisées par Cesar Domela au Centre Cujas au sortir de la guerre). Y participent également les musées, les galeries et la presse, spécialisée ou non : faire le point sur les institutions dévolues à l’art moderne en Europe, sur leur histoire et leur situation après 1945, leurs collections et l’évolution de leurs politiques d’acquisition complètera le tableau, de même que l’établissement d’un panorama des galeries, des expositions qu’elles organisent et des revues actives dans ce champ, de leurs positions respectives et de leurs relations. Si ces différents acteurs mènent des activités autonomes, ils n’en sont pas moins pris dans des mécanismes qui les dépassent et qui touchent aux politiques culturelles orchestrées par les Etats eux-mêmes (les travaux de Cécile de France et de Martin Schieder ont contribué à éclairer ce point dans le cadre des relations franco-allemandes). Il s’agira, sous cet angle, d’appréhender la constitution et la diffusion, concertée ou non, d’un modèle artistique européen, tout en en révélant les fondements et les enjeux idéologiques, mais aussi d’interroger le succès ou l’échec de sa diffusion et de tenter d’en comprendre les raisons (les recherches menées par Marylène Malbert, doctorante à Paris I, sur la Biennale de Venise pourront par exemple fournir des éléments d’éclairage).

Un premier pan de notre recherche concernera donc le retour sur un passé récent – la première moitié du XXe siècle, l’art moderne et les avant-gardes, mais aussi leurs précurseurs, Cézanne ou Van Gogh – pour tenter de cerner l’histoire qui est alors en train de s’en écrire en Europe, ses modèles (formalistes ou autres) et ses outils théoriques, et d’en mesurer l’impact sur les nouvelles générations d’historiens et d’artistes. Pour ces derniers, il faudra également prendre en compte l’enseignement artistique, tel qu’il se poursuit ou se renouvelle en fonction de l’histoire récente et de la formulation d’enjeux nouveaux : quels modèles sont mis en avant et quelles vocations provoquent-ils ? On est en effet frappé, à la lecture des textes (déclarations et manifestes, dus à des artistes ou à des critiques), de la récurrence des références aux avant-gardes du début du siècle (Dada, surréalisme ou pionniers de l’abstraction), qu’il s’agisse de s’en réclamer ou plus souvent de s’en démarquer. Il s’avère alors particulièrement intéressant de préciser ce à quoi peuvent se référer ces textes, sur quelle connaissances ils s’appuient, par quelles voies et médiations elles leur sont parvenues. Le phénomène de la traduction des textes, en particulier ceux des premiers artistes abstraits (Nadia Podzemskaia a ainsi retracé l’histoire éditoriale de Du Spirituel dans l’art de Kandinsky), et les étapes de leur diffusion sont à ce titre des plus révélateurs de l’état des connaissances à un moment donné. Ils mettent également en lumière le rôle d’artistes polyglottes ou multiculturels aptes à transmettre, en l’absence de traduction et pour partie, les enseignements de ces textes (Jean Leppien).

Par l’exploration et la corrélation de ces différents axes de recherche, nous pouvons espérer montrer les liens unissant l’après-guerre et la première moitié du XXe siècle ainsi que les différentes stratégies mises en œuvre pour tâcher de réduire la coupure de la guerre, autant de schémas et de constructions historiques aptes à reformuler l’idée communément admise de l’« année zéro ».

Perspectives

Il ne saurait pour autant s’agir de nier la rupture qu’a constituée la Seconde Guerre mondiale : le cas d’artistes tels que Baumeister est exemplaire des remises en cause radicales qui en ont découlé ; quant au motif de la table-rase, il est récurrent tant dans les œuvres que dans les textes de l’époque. Il faudra analyser les différentes formes prises par ce renouvellement, la variété de ses modes d’expression et leurs impulsions spécifiques. Si les références changent – celles des artistes comme des critiques et des historiens – et par conséquent les constructions historiques, où vont-elles puiser (aux sources d’un art plus ancien que celui des avant-gardes ou de productions extra-européennes, asiatiques en particulier? dans un modèle scientifique ou technologique?) et quelles prises de position révèlent-elles ainsi quant à la guerre et à ce qui peut lui paraître associé (entre autres, l’industrie)? Il faudra assurément s’attarder sur la question de l’humanisme si généralement débattue alors, pour en cerner les fondements et les formulations, mais aussi pour comprendre comment elle a pu permettre de reconstruire a posteriori une image négative des recherches des avant-gardes condamnées pour la déshumanisation à laquelle elles auraient collaboré. Plus largement, il s’agira de comprendre comment se constitue le puissant filtre, voire parfois l’écran, qu’est encore aujourd’hui la Seconde Guerre mondiale pour certaines lectures visant à remettre en cause l’héritage moderne.

La guerre lègue aux différents pays des clivages idéologiques et politiques exacerbés, tout en contribuant à une redistribution des rôles, en particulier sur la scène artistique : on s’intéressera donc à l’impact des positions adoptées pendant la guerre, au partage des territoires à l’issue de celle-ci, sous l’effet de repositionnements ou de l’arrivée de nouveaux venus (les rapports entre André Breton et Jean-Paul Sartre permettent en particulier d’aborder la question du retour des exilés). C’est là sans doute qu’intervient l’histoire de la critique qui reste à faire pour cette période et qui constituera un point fort de nos recherches ; elle passe par une mise au point sur les revues existantes et sur leurs lignes éditoriales respectives, par une étude détaillée des parcours des différents auteurs (dont Charles Estienne, Léon Degand, Michel Tapié, Lawrence Alloway, Reiner Banham, Pontus Hulten, Herta Wescher ou Gilo Dorflès), du type de critique qu’ils pratiquent et de leurs différents modèles historiques ou théoriques (l’impact de la phénoménologie, étudié en son temps par Robert Klein, pourra entre autres être encore approfondi ; de même, la façon dont Lawrence Alloway construit sa position contre la lecture formaliste d’un Roger Fry ou d’un Herbert Read). Un phénomène très important à cette période et riche d’éclaircissements pour notre propos méritera toute notre attention : il s’agit du cas d’auteurs publiant dans plusieurs revues et pays au sujet desquels se pose la question évidente de la traduction, mais aussi celle de l’adaptation du discours en fonction des supports et des contextes. De même que pour les revues, il conviendra de faire le point sur les institutions nées après la guerre (l’I.C.A. à Londres) et sur les expositions qui ont marqué la période (Un art autre…) afin de dégager une impression d’ensemble des tendances et des problématiques du moment. A ce titre, il faudra considérer le rôle joué par les médiateurs dans la diffusion des nouvelles orientations, celui du Salon des Réalités Nouvelles pour l’abstraction géométrique, celui de Domnick qui organisa la première exposition d’art français contemporain en Allemagne au sortir de la guerre. Là encore, les politiques culturelles jouent un rôle non-négligeable voire fondamental, en élisant parmi les jeunes générations des figures de proue, des héros pour chacune des scènes nationales, à l’image d’un Georges Mathieu en France.

Une large part du travail de recherche consistera enfin à établir, pays par pays, des bilans et des chronologies des nouvelles tendances artistiques et de leurs représentants, ainsi qu’un relevé des confrontations européennes à la fois artistiques (voyages, rencontres, expositions…) et théoriques (par exemple la rencontre, radiodiffusée, d’historiens et de critiques de différents pays – Marchiori, Tapié, Grohmann – à Leverkusen en 1956). Par ces mises au point historiques, nous espérons pouvoir mieux expliquer les effets de décalage ou les coïncidences observables entre les différents pays. Avant toute analyse approfondie, certaines problématiques se dégagent d’ores et déjà de la littérature concernant l’art des années 1950 : l’opposition abstraction – figuration, travaillée en partie par la question du réalisme socialiste, le cas de l’Allemagne de l’Est pouvant fournir à ce sujet un éclairage spécifique et inaccoutumé ; l’opposition abstraction froide – abstraction chaude qui s’incarne en France dans les deux figures de Léon Degand et Charles Estienne et qui reçoit, suivant les contextes et en écho à eux, des formulations différentes qu’il s’agira de préciser. L’histoire en pointillés de la pratique du collage, de l’assemblage et du travail sur l’objet envisagée sous l’angle des productions comme de l’historiographie pourra être envisagée dans les perspectives qu’elle porte. De même, la question de la conciliation, possible ou non, d’un engagement politique marqué et d’une pratique artistique voulue comme autonome : l’exemple de Jean Dewasne est particulièrement éclairant pour ce débat, lui qui, proche dans ses convictions du Parti Communiste et défenseur de l’abstraction géométrique, tenta de reformuler le matérialisme dialectique pour y fonder sa pratique picturale. L’étude de tentatives théoriques du même ordre, menées principalement autour de la notion de matérialisme, en particulier par le groupe CoBrA, permettront de prendre la mesure du phénomène et d’en pointer les enjeux. Au registre des intrications entre politique et pratique artistique, on ajoutera l’incarnation de l’idéal démocratique dans l’art informel en Allemagne et dans l’art concret en Suisse, particularismes locaux dont il s’agira de comprendre les fondements.

Il ne s’agit, dans cette brève présentation, que de quelques-unes des pistes de recherche pour l’instant envisagées. Vu l’ampleur du sujet, seul un travail d’équipe, approfondi et mené sur la durée permettra d’affiner ces pistes, voire de les infirmer et d’en faire surgir de nouvelles. Menés à l’échelle européenne, une importante campagne de bibliographie, de repérage des archives, et un état des recherches sur la question constituera le préalable à toute investigation plus poussée, tout en permettant d’espérer pouvoir mettre à terme à la disposition de la communauté des chercheurs les informations ainsi rassemblées. A partir de leur analyse croisée, nous pourrons proposer une réelle relecture de la période suivant l’axe européen que nous avons choisi : reprendre les grandes orientations présidant à l’approche courante, les préciser voire les renouveler ; revenir aussi sur la cartographie admise, en analyser l’élaboration, en mettre au jour certains poncifs, simplifications ou déformations.

Histoire des festivals internationaux de cinéma en Europe (années 1930-1980)

Composante : CERHEC en collaboration avec le CHCSC et l’IRICE 1
Nature du projet : programme  de recherche  international et interuniversitaire
Responsable : Sylvie Lindeperg

Au sein des politiques culturelles nationales et des relations culturelles internationales de l'Europe de l'entre-deux-guerres,  le cinéma s'imposa de plus en plus comme un domaine important. En témoigne notamment la mise en place des premiers festivals de cinéma, tout à la fois lieu d'exposition nationale, de rencontres et de diffusion internationales de films de fiction ou documentaires. En 1932 fut ainsi créée la Mostra de Venise par le régime fasciste de Benito Mussolini qui sut s'emparer du cinéma pour sa propagande intérieure et internationale. Trois ans plus tard, en 1935, ce fut au tour de Moscou de lancer son premier festival international de films. Si l'expérience soviétique ne put se renouveler au-delà de la première année, la Mostra connut par contre un succès immédiat auquel s'associa rapidement le régime nazi. Dès leurs origines, les festivals internationaux de cinéma en Europe relevèrent donc  d'enjeux diplomatiques et politiques. Les démocraties choisirent ainsi de créer leur festival pour contrecarrer la Mostra: le projet de Cannes vit alors le jour. La guerre qui éclata en septembre 1939 entraîna l'annulation du premier festival sur la Riviera, mais ne fit pas mourir le projet.

De fait, après 1945, apparurent toute une série de festivals de cinéma dans l'Europe de l'après-guerre. Le mouvement amorcé avant 1939 prit dès lors une autre dimension. Dans un nouveau contexte international,  où les pratiques comme les productions culturelles jouèrent un rôle essentiel dans les différentes formes de confrontation Est-Ouest et au sein même des deux blocs en présence, un réseau de manifestations internationales se mit rapidement en place : Karlovy Vary (1946) et à nouveau Moscou (1959) à l’Est, à l’Ouest Locarno (1946), Cannes (1946) puis la Berlinale à Berlin-Ouest (1951) et San Sebastian (1953). Au tournant des années 1960, il existait donc un important réseau de festivals de cinéma couvrant l’Europe de l’Est comme de l’Ouest, qui s’avèrent des lieux d’observation ouvrant de nouvelles perspectives pour une histoire culturelle de l'Europe de la guerre froide.

Très rares sont cependant les recherches sur ce sujet. Les quelques études existantes sont surtout des monographies présentant le plus souvent un tableau partiel ou anecdotique de tel ou tel festival. Or, il est certes important, dans un premier temps, de resituer la naissance des différents festivals dans leur contexte national spécifique et sous l’influence croisée des différentes étapes de la guerre froide. La spécificité de chaque lieu et de chaque moment apparaît ainsi clairement. Toutefois, l’histoire des festivals montre également combien ils ont évolué en étroite interaction entre eux, dans une constante dynamique de concurrence et de confrontation, intégrant des influences sociales, politiques, économiques, culturelles et artistiques dépassant les seules limites nationales, donnant lieu à des processus d’appropriation ou d’acculturation. Une histoire des festivals de cinéma dans l’Europe d’après 1945 ne saurait donc être seulement une juxtaposition de parcours distincts ou une comparaison étudiant, à partir d’un seul point de vue, les interactions évoquées. Il s’agit plutôt de retracer l’histoire d’un réseau, de son installation et de son évolution entre les différents lieux à travers l’Europe de la guerre froide. Pour cela, il s’agit de montrer comment ces relations et contacts sont nés, quels en ont été les différents acteurs et passeurs - institutionnels ou non - et quelles influences les festivals ont eu les uns sur les autres au cours de la période étudiée.

Le projet, porté par le CERHEC, le CHCSC et l'IRICE, a pour ambition de créer autour de ces pistes de recherche un réseau international de chercheurs issus de différentes disciplines - histoire, sociologie, études cinématographiques, civilisations, communication.  Il s'agit d’abord de dresser une cartographie des sources, un état des lieux et un bilan des travaux existant,   puis de lancer des recherches (masters, doctorats, projets post-docs...) dans les différents pays à partir des fonds d'archives concernés. Les  monographies établies à partir des sources de chaque pays permettront la mise en perspective des différents  festivals autour de trois grands thèmes et moments :

1- La phase de création des festivals: enjeux locaux, nationaux et internationaux (années 1930-1950)

Dans deux contextes distincts -la période de l'entre-deux guerres (avec la confrontation entre régimes démocratiques et régimes autoritaires) puis celle de l'après 1945 (dans une période de reconstruction et de guerre froide)- est née puis s'est développée une Europe des festivals internationaux de cinéma. L'analyse précise des contextes de leur création -nationaux et internationaux, sans oublier les enjeux locaux dans ce jeu d'échelles complexe- permet de souligner combien ces festivals de cinéma s'inscrivent dans toute une série d'enjeux économiques, culturels, politiques qui en font des événements très importants pour une histoire culturelle de l'Europe contemporaine.

2- Les évolutions des festivals et de leur réseau au rythme de la guerre froide (années 1950-1980)

Dans l’étude des relations internationales du temps de la guerre froide en Europe, les relations culturelles font désormais partie des terrains largement ouverts à la recherche. Les pratiques comme les productions culturelles ont joué un rôle essentiel dans les différentes formes de confrontation Est-Ouest mais aussi au sein même des deux blocs en présence. Les médias, et tout particulièrement le cinéma,  y ont tenu une place privilégiée à travers une guerre d’images imprégnant le quotidien des Européens. L'étude de la concurrence entre festivals de l'Est et de l'Ouest, mais aussi de la répartition des rôles au sein d'un même bloc, souligne la complexité des relations culturelles internationales du temps de la guerre froide.

3- Les festivals et les nouvelles cinématographies (années 1960-1970)

Des années 1960 aux années 1970, les festivals internationaux de cinéma en Europe ont été les témoins de l'émergence de nouveaux cinémas. Les mouvements des Nouvelles vagues en Europe et dans le monde se retrouvent notamment à Cannes, à Venise, à la Berlinale, qui deviennent des tribunes essentielles pour ces jeunes cinéastes. À la suite des revendications de 1968, qui ont également touché le cinéma et l'organisation des festivals, des sélections parallèles voient le jour (Un certain regard à Cannes, Forum à Berlin) où l'on va retrouver les nouvelles cinématographies des pays du Sud mais aussi les productions des dites minorités (cinéma féministe, défendant la cause homosexuelle par exemple). Les festivals jouent le rôle de passeurs entre ces jeunes cinématographies et les producteurs et diffuseurs ainsi que le public des pays européens.

Les partenaires suivants ont déjà donné leur accord pour former un comité de pilotage  :
— en Italie : Leonardo Quaresima (université d'Udine, en partenariat avec le Festival de Venise)
— en Allemagne : Lars Karl (ZZF, Potsdam) travaillant sur le festival de Moscou
— en République tchèque : Petr Szczepanik (université de Brno), pour le festival de Karlovy Vary
— en Allemagne : Vinzenz Hediger (université de Bochum) pour les festivals de Berlin et Locarno
— en Grande-Bretagne : Lucy Mazdon (université de Southampton)
— en Espagne : Vicente Sanchez-Bioca (université de Valencia) pour le festival de San Sebastian.

Ce comité de pilotage se réunira les 1er et 2 décembre 2008 à Paris (INHA). Il sera en charge de la coordination des recherches et des différentes rencontres qui auront lieu au cours des six années du projet (journées d'études et colloques) qui se déroulera en plusieurs phases. La première période 2008-2009 est une phase préparatoire, permettant de mettre en place le réseau. Les premières manifestations auront lieu à partir de 2010 jusqu'en 2014.

Outre différentes manifestations qui se dérouleront dans les laboratoires porteurs et les institutions partenaires, le projet prévoit trois publications principales autour des trois grands thèmes retenus et une base de données offrant un catalogue des sources et des informations sur les différents lieux d'archives et rendant facilement accessibles les travaux menés en commun.

Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines université Versailles-Saint Quentin, resp. Caroline Moine, Identités, Relations Internationales et Civilisations de l’Europe UMR 8138, resp. Robert Frank.

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